Vladas Braziunas.
Traduit du lituanien par Genovaite Druckute, Asta Uosyte-Buciene et Marc Fontana
Les poèmes de Vladas Braziunas manifestent un art consommé du lyrisme, dans de courts poèmes d'une densité et d'une ferveur admirables. Celui qui dit je est une sorte d'Ulysse, une figure du franchissement des limites, qui traverse une "géographie secrète", qui dissout l'histoire des peuples dans un rêve d'union, ou revient "du long chemin du Styx", pour proclamer la renaissance de la Nature. Le poète est ici le représentant d'une langue, d'un ordre qui se libèrent, et en même temps un îlot de désordre.
dans ce brouillard de lait
un poulain chaud et blanc
frémit et broute silencieusement
chancelle et piétine encore invisible
la fin de notre commencement
est-ce une nuit de plein hiver
est-ce un bout de nuage
fais quelque chose, pousse
repousse une boule de neige
tout doucement
aux ailes de vent
la nuit une viola da gamba
sonne et gémit tout doucement
elle vit encore dans moi
dans la nuit et dans son absense
Rīga, Birštonas, Vilnius, 2003.XII.4–2004.VIII.2
Braziūnas, Vladas. Grandes sont les nuits / Traduit du lituanien par Genovaitė Dručkutė, Asta Uosytė-Būčienė et Marc Fontana. – Paris: L'Harmattan, 2007. – P. 49. – (Levée d'ancre).
dans ton oeil mémoire
non notre automne roux
de Laponie un ruska rouge
ne te rends pas sans lutte
on aura qui trahir et par qui
dans mon oeil mémoire
des cris aigus d'alerte
pluies de travers pointent
marquent des impossibilités
fleurs, fleuries, fleurissantes
dans ton oeil mémoire
dans mon oeil mémoire
portes vitrées de la fin des jours
à deux battants, closes toutes
frappe doublement fort
jusqu'à ce qu'on t'ouvre
Naujininkai, 2003.X.2
Braziūnas, Vladas. Grandes sont les nuits / Traduit du lituanien par Genovaitė Dručkutė, Asta Uosytė-Būčienė et Marc Fontana. – Paris: L'Harmattan, 2007. – P. 48. – (Levée d'ancre).
te rappelles-tu mes lettres non écrites ?
j'ai oublié mon parapluie, des coups
de canne blanche sur le trottoir
nous deux, trempés comme une soupe
tes cils ruisselants
dans mes yeux
Fabijoniškės, 2003.IX.15
Braziūnas, Vladas. Grandes sont les nuits / Traduit du lituanien par Genovaitė Dručkutė, Asta Uosytė-Būčienė et Marc Fontana. – Paris: L'Harmattan, 2007. – P. 47. – (Levée d'ancre).
j'ai compris, tu n'y es pas, en vain
je frotte le seuil bas d'une vieille poste
habitait ici ?.. beaucoup ont habité
demain le premier jour de vie des vivants
la mort : des doigts… leurs bouts… des lèvres…
au mur un ange en bois vert
se joue des chiffres du comptable
la brume à peine visible : une fenêtre embuée
ô les songes – jadis tu t'étais approchée
il y avait du vent, les mains froides s'agitaient
encore innocents serpents et colombes
blanches frémissaient sous ma main
un grain de beauté saillant, des tromperies douces
qui nous plongeaient dans le sommeil
les feuilles ramassées par un vieux vent
qui s'est tu un moment, s'est retourné, s'en est allé
Fabijoniškės, 2003.IX.5-9
Braziūnas, Vladas. Grandes sont les nuits / Traduit du lituanien par Genovaitė Dručkutė, Asta Uosytė-Būčienė et Marc Fontana. – Paris: L'Harmattan, 2007. – P. 46. – (Levée d'ancre);
Zei şi zile = Days and gods: Antologia Festivalului Internaţional „Nopţile de Poezie de la Curtea de Argeş“: ediţia a XV-a, 2011; Poesys 15, plurilingv I / Antologie, biobibliografii şi tălmăciri de Dumitru M. Ion şi Carolina Ilica. – Bucureşti: Editura academiei internaţionale Orient-occident. – P. 119–120. – Vertėjų valia išspausdinta kaip antroji dipticho dalis drauge su „une nuit claire, chaude et douce comme la face interne de tes...“ [„šviesi naktis, šilta ir švelni tarytum vidinė tavo šlaunų pusė...“].
les oiseaux se sont tus, écoute le vent d'Orphée qui
s'approche, peureux, de la fumée, de tes pas, ô l'homme créé
toi, interdit: maisons trouées, ossements entassés, tous dispersés et entassés
trottent, joyeux, après la bière, blaireaux et cailles, lions et martes
sans bagarre et tout joyeux, des tempêtes ensoleillées
touchent, lèchent les yeux et la bouche, un petit ventre pâle d'une souris
invite la grande fratrie à quitter la ville
à travers champs, à travers neuf monts, de longues forêts satinées
plongent et sombrent, sombrent et plongent dans la mer
qu'est-ce qui m'arrive écrire la vérité, vivre la vérité
jeter un regard aveugle et sombre vers la fête de vie
trotter derrière, sans se laisser bercer par la flûte
montrer la dernière dent de sagesse pourrie
Dieu des roseaux, je prie que ne finisse jamais ce qui vit
Fabijoniškės, 2003.IX.3-4
Braziūnas, Vladas. Grandes sont les nuits / Traduit du lituanien par Genovaitė Dručkutė, Asta Uosytė-Būčienė et Marc Fontana. – Paris: L'Harmattan, 2007. – P. 45. – (Levée d'ancre).
banal est ce paysage, beau pourtant
un étang noir des cygnes blancs
une rose qui s'ouvre te rappelle
une blessure – ne le dis pas
des strophes chantées, répétées si
usées par tous les échos
une étoile est tombée – ne le dis pas
mes bras seulement
un cygne blanc nourri de miettes
des pâtons pour des oies
comment ne pas courir après
une tige nue perce la neige
si pure qu'on ne la voit plus
un gravier étoilé se répand et grinçe
Fabijoniškės, 2003.VIII.28
Braziūnas, Vladas. Grandes sont les nuits / Traduit du lituanien par Genovaitė Dručkutė, Asta Uosytė-Būčienė et Marc Fontana. – Paris: L'Harmattan, 2007. – P. 44. – (Levée d'ancre).
la fête commence, reste ici
où – ici?
avec nous
sourde est mon âme
discrete la nuit, muette le jour
j'y suis de rien, t'ai vue un jour
pleurer
faut pas
que tu me parles, que je te parle
ça fait mal
rendez-vous au terminus, à l'infini de retour
des propos qui ne sont plus
après le mirage, par le désert, après le mirage
sur un âne espiègle
Banská Štiavnica, Bratislava, Bratislava–Praha, 2003.VIII.25
Braziūnas, Vladas. Grandes sont les nuits / Traduit du lituanien par Genovaitė Dručkutė, Asta Uosytė-Būčienė et Marc Fontana. – Paris: L'Harmattan, 2007. – P. 43. – (Levée d'ancre).
quel est ce lac, sans
une île de l'Amour
pour dormir à poings fermés
fais-moi une couche molle
une pierre ronde – sous la tête
un fond creux, des nuages
un pâle reflet pour mes yeux
étonnés sur une surface brillante
une rame fend l'eau comme un couteau
de bibliophile qui coupe les feuilles
quelle profondeur – devine-la
un lac silencieux
Biržai (sur le lac Širvėna), Vilnius, 2003.VIII.4–13
Braziūnas, Vladas. Grandes sont les nuits / Traduit du lituanien par Genovaitė Dručkutė, Asta Uosytė-Būčienė et Marc Fontana. – Paris: L'Harmattan, 2007. – p. 42. – (Levée d'ancre).
un crapaud comme une herbe rêche
à côté de mon bureau
des étangs fleuris, la végétation des lacs folle
que des gués – des creux très profonds
des troncs d'arbres d'une passerelle éclatée
des bosses verruqueuses des tortues
plus rien à soutenir, plus de monde
déraciné, délavé, dépassant des songes
et des rêves insolents, plus de courage
de les nommer illusions, quelques
souches polies, les autres hirsutes
quel mal aux yeux, une peau gluante
un crapaud lys de jardinet
Fabijoniškės, 2003.VIII.1
Braziūnas, Vladas. Grandes sont les nuits / Traduit du lituanien par Genovaitė Dručkutė, Asta Uosytė-Būčienė et Marc Fontana. – Paris: L'Harmattan, 2007. – P. 41. – (Levée d'ancre).