des fleurs de lys sous la fenêtre, tiges rêches, une petite bête écarlate
ton cheval bleu, aux ailes de quatre
l'eau gronde, le vent glacé chavire autour du feu, sifflent
des potins de l'an passé, des cancans d'antan
l'herbe trempée, les tiques sucent le sang du monde
les souris affamées quittent la ville morte
l'oeil ouvert, tu les entends, en toi ou dans l'eau
plus une miette, plus rien de l'amour
enfantin, que des poèmes épars, de vagues
pressentiments, une lettre de Troie
Fabijoniškės, 2003.VII.25-31
Braziūnas, Vladas. Grandes sont les nuits / Traduit du lituanien par Genovaitė Dručkutė, Asta Uosytė-Būčienė et Marc Fontana. – Paris: L'Harmattan, 2007. – P. 40. – (Levée d'ancre).
un objet familier, moi, qu'on essuie
avec un torchon humide, le dimanche
en prison, à la gare, à l'aéroport je somnole
plus de désirs, la comédie est finie
les yeux baissés, aux poignées je m'accroche
ô vie, maigres cuisses, leur lueur, le cactus humecté
s'agite et bouge sous ta paume assoupie, la langueur
des seins chauds, les tétins en soie, telles balles endormies
des nuages de tes cheveux épars, gris, le long du chemin
du Styx dans une bucolique fatiguée, ton front ovale
éblouit, se lève et se couche, un aveugle temps veule –
de l'objet familier, le rêve entre les dents
la paume gelée, transpersée par des balles ou des stigmates
la douceur de poussière sur les globes éclatés
Fabijoniškės, 2003.VII.21-25
Braziūnas, Vladas. Grandes sont les nuits / Traduit du lituanien par Genovaitė Dručkutė, Asta Uosytė-Būčienė et Marc Fontana. – Paris: L'Harmattan, 2007. – P. 39. – (Levée d'ancre).
trois pensées musicales
1
S'ouvrent la nuit rubescents tes seins
et cet août oint docile
nous inonde de nobles clairvoyances
nous requiert – la mesure du soupir
et l'ode pour nos lèvres changeantes
et le pommier du jardin, la brume des vallées
en elle pesante lente tu t'avances
après le rossignol au chant immergé
non pas encore le matin, le feu germé
et les veines des feuilles, les troncs blancs
Ma douce ! Étreins tes genoux
mon petit mon gris talisman d'amour
inaudible dans le silence sois assise et pleure
espère jusqu'à la jaillissante voix d'enfant
sous mes doigts, grande nuit
pour cette dernière offrande au Dieu
2
se propageait l'âcre fumée, se refermaient les marjolaines
un soc dans l'obscurité a heurté le crâne
nous sommes tendus et mon corps pénètre
ta nuit, luisent dans la nuit
les feux-follets des ténèbres, rejeté par les eaux
il blanchira tels les ossements en tes demeures
le radeau de qui a pris la mer à la nuit
la nuit noire brasillera de ses yeux évidés
mais tu perçois la lueur salutaire
de la face animée des chauves-souris
et tu sais cette mesure du provisoire
le feu des incendies, ô les échos des offenses…
au bout du compte, ne restent que nous deux
et un éclat d'autel brisé
la minute qui réclame la clairvoyance
Ma douce ! Prends-moi dans tes bras
réchauffe mes ligneuses mains blanches
humecte l'écorce dans le fuseau de la flamme
et incline le Dieu aveugle contre le cœur
par le cantique chantant dans la coupole
3
mon petit mon gris talisman d'amour
verlaine vespéral à l'archet d'agrostide
sombre dans des draps de lierre de lèvres
la percée la plus droite de raie d'or
et ondoient en silence les bruyères couleur de feu
sur les forêts de conifères, alors que la tête du nuage
flambe comme si elle n'avait rien oublié
armure de la poitrine, thorax en sang
sépare en nous le libre et le captif
hirondelle qui se terre (sa main est froide)
déjà cueilli ton fruit roussâtre
dans la fourmilière de la ville nous sommes sans droit
et on ignore ainsi qui est pour et qui est contre qui
en rêve seulement la main est tout autre
elle ouvre pour le silence tes pétales
et je perçois avec l'étonnement secret
le monde, salutaire pour ma lyre
Ma douce ! La main fleurissant
nous embrasse et mesure la fièvre
panse et enserre la poitrine
et nous donne à boire la tisane d'armoise
Ma douce ! Je n'entends plus
le délire à l'aube du merle de gui
versant sur les touchers des étoîles
et la dernière goutte je vous aime
qu'il allume à notre sommet brisé
(Les mots en italiques sont en français dans le texte)
Né en 1952, Vladas Braziūnas est une figure majeure de la poésie lituanienne contemporaine qui tient elle-même une place importante dans la culture de la Lituanie. Il est l’auteur d’une dizaine de livres parmi lesquels Būtasis nebaigtinis = Imparfait (2003), opuscule bilingue lituanien-français publié en Lituanie, et Iš naminio audimo dainos (De la chanson tissée à la maison, 2005), avec le compositeur Algirdas Klova, très célèbre en Lituanie. Grandes sont les nuits, un récent poème de Vladas Braziunas, vient de paraître dans la revue de littérature Linea (n°5, hiver 2005-2006, APBnF) dans une traduction de Asta Uosytė-Būčienė et de Marc Fontana, rédacteur en chef de la revue.
http://lituanie-culture.blogspot.com Rudamina, 1978.XI–XII
Linea: Revue de littérature (Paris). – 2005–2006. – Hiver. – № 5. – P. 38–40;
Braziunas, Vladas. veľke sú noci / grandes sont les nuits / naktys yra didelės / Výber zostavila a zredigovala Miroslava Vallová; traduit du lituanien par Genovaitė Dručkutė, Asta Uosytė-Būčienė, Marc Fontana et Jasmine Jacq. – Bratislava: Edícia Viachlasne Literárne informačné centrum, 2006. – P. 36–38;
Braziūnas, Vladas. Grandes sont les nuits / Traduit du lituanien par Genovaitė Dručkutė, Asta Uosytė-Būčienė et Marc Fontana. – Paris: L'Harmattan, 2007. – P. 53–55. – (Levée d'ancre).
le matin comme chaque matin
mais il n'y a plus de jour
à travers les feuilles d’antan
un caprice brille méchamment
de la rosée sur les feuilles
jalouses sont les étoiles du matin
quand là-bas, si loin
la rosée d'or scintille
quand elles tombent dans la mer
cosmique, sur les pierres
les mauvais esprits, que marmonnent-ils ?
les bons esprits, que prédisent-ils ?
Middlebury, 2000.VI.1; Fabijoniškės, VIII.4–7
Braziūnas, Vladas. Grandes sont les nuits / Traduit du lituanien par Genovaitė Dručkutė, Asta Uosytė-Būčienė et Marc Fontana. – Paris: L'Harmattan, 2007. – P. 36. – (Levée d'ancre).
le Livre ouvert par Satan à Erasmus
la pauvre chasse à la licorne a réussi
les petits enfants pleurent, tous à genoux
la Vierge à la couronne dans les cieux perdue
assis sur le Mont des myrtilles, j'ai péché
par la parole, le chant et l'idée du Dieu caché
le mont bleu à travers la brume bleue
un bercement doux, quel sommeil, que diable
la géographie secrète a changé le temps
plus d'entrée dans ton rêve depuis longtemps
je me cogne aux seuils, aux portes, aux grilles
des confessionnaux, des théâtres – qui dévore ? qui pille ?
qui le matin dans le ciel fait monter le larron
où sont les Celtes, les Francs, les Bretons, les Lettons
que diantre qu'est-ce que je griffonne ici, dis-moi
réveille-moi, replace-moi dans le rêve ; ou tue-moi
Burlington (dehors, un coin du petit bassin de Barnes & Noble Booksellers; fouteuil de la librairie), Middlebury, 2000.V.24–25
Braziūnas, Vladas. Grandes sont les nuits / Traduit du lituanien par Genovaitė Dručkutė, Asta Uosytė-Būčienė et Marc Fontana. – Paris: L'Harmattan, 2007. – P. 35. – (Levée d'ancre).
– Je voudrais un verre de vin.
Marguerite Duras
il se cure les dents devant la porte
il observe la danse du ventre
des Arabes grasses aux seins pendants
après la soirée, lui, il tremble
un verre de vin matinal
et les doigts cessent de trembler
et la voix creuse, enrouée
guérit et se désserre
la voix en toute liberté
s'enfuit aux petits pas de la danseuse
et un jeune chien grisâtre
joue avec un bout de chair rouge
Middlebury (sur un petit banc près d'une fontaine), Burlington, 2000.V.22
Braziūnas, Vladas. Grandes sont les nuits / Traduit du lituanien par Genovaitė Dručkutė, Asta Uosytė-Būčienė et Marc Fontana. – Paris: L'Harmattan, 2007. – P. 34. – (Levée d'ancre).
la blanche étreinte de la nuit
le noir baiser du jour
le reniement troisième de celui
qui n'était qu'une pierre
la soupe aux pois de ma mère-grand
épaisse comme la brume de Londres
jusqu'à l'an cinquante-six
où l'on a fini le charbon
rien que la Grande Puanteur
et quelle, pleins d'odeurs
les paniers du potager
du couvent des bénédictines
comme se fanent fleurs et feuilles
carottes et femmes se rétrécissent
et se cristallisent en pierres précieuses
dans la mémoire ou dans la bile
Middlebury, 2000.V.21–22
Braziūnas, Vladas. Grandes sont les nuits / Traduit du lituanien par Genovaitė Dručkutė, Asta Uosytė-Būčienė et Marc Fontana. – Paris: L'Harmattan, 2007. – P. 33. – (Levée d'ancre).
Bernard Shaw la barbe rouge
et un chien galeux sans nom
à poil dur, venant des cahutes
il se rit de ce triste tableau
le paon danse, personne ne le voit
seule le jet d'eau à langue pointue
qui scintille au soleil, le chien
au pelage hérissé, tout honteux
feu, la tour dans le ciel vole
qui le vénère, par quels mots
la loco coupe une rase campagne
et va bientôt gravir une montagne
le paon danse dans la cour
avec sa queue large d'aurore
le paon danse et boivent les convives
et les cosaques de Kandinsky et
les barbes rouges et leurs parisiennes
Middlebury, 2000.V.20
Braziūnas, Vladas. Grandes sont les nuits / Traduit du lituanien par Genovaitė Dručkutė, Asta Uosytė-Būčienė et Marc Fontana. – Paris: L'Harmattan, 2007. – P. 32. – (Levée d'ancre).
il y avait Georges le patron
à la cuirasse peau de dragon
vieux sont les ventres des cygnes
peints en vert sur la fontaine
le jet d'eau était bleu
Londinium, Londres, tripots
le Juif errant, sauvage
coeur joyeux et volage
il y avait un marbre verdâtre
monnaies d'airain ternes bleuâtres
à la queue-serpent un griffon
serpentant à travers le blason
de quoi est-il malade, le griffon
la Grande puanteur se levant
les sénats et les conseils étouffant
et les ormes cristallins se fanant
les enclaves d'art, salles dévastées
images de terres vagues et rasées
dessine-moi une fontaine, Dilani
où les morts jouent avec les dieux
Middlebury, 2000.V.19
Braziūnas, Vladas. Grandes sont les nuits / Traduit du lituanien par Genovaitė Dručkutė, Asta Uosytė-Būčienė et Marc Fontana. – Paris: L'Harmattan, 2007. – P. 31. – (Levée d'ancre).
ce matin-là – chant d’un cercle serein
la fin du monde chante ta fin
la vie coule toujours dans tes veines
sans peut-être jamais s’arrêter devant
une limite probable, il est clair
encore une fois rien n’est clair
tu écris des cartes, tu te réveilles
en nage, le matin, tu fais un pas
en rond, en rond, le cercle soutient encore
par habitude, hors du cercle – fini le temps
Fabijoniškės, 2003.III.17
Braziūnas, Vladas. Būtasis nebaigtinis = Imparfait / Traduit du lituanien par Genovaitė Dručkutė. - Vilnius: Petro ofsetas, 2003. - P. 47;
Braziūnas, Vladas. Grandes sont les nuits / Traduit du lituanien par Genovaitė Dručkutė, Asta Uosytė-Būčienė et Marc Fontana. – Paris: L'Harmattan, 2007. – P. 28. – (Levée d'ancre).